Youssef

Jean Youssef

Fait intéressant, le public du théâtre d’ombres turc Karageuz, avait connu son apogée au Liban durant la période de colonisation Ottomane d’une grande partie du Proche-Orient entre les années 1850 et 1918.

Qu’est ce qui caractérisait le théâtre d’ombres en général au Liban du milieu du XIXe siècle jusqu’au début du XXe siècle, et quel public avait-il attiré ? Quelle originalité le théâtre turc Karageuz avait présenté, et est-ce que son public était différent de celui des autres types de théâtre d’ombres ?

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Origine

Ce théâtre prenait sa source en Asie, puis c’était répandu dans plusieurs parties du monde (dont les pays d’Anatolie et les pays arabes) grâce aux Mongols. En raison de la conquête Ottomane d’une grande partie du Proche-Orient, un type de théâtre d’ombres particulier appelé “ Karageuz” était apparu [2]. Les traces Ottomanes dans les textes arabes et libanais de ce théâtre étaient bien notables. Ses metteurs en scènes ont ainsi pu laisser des traces dans le théâtre d’ombres.

Histoire

Le théâtre d’ombres Karageuz, qui signifie en turc “les yeux noirs”, avait commencé à l’époque du sultan Oran (1326-1359) en Turquie [3, 4]. Il s’agit de l’histoire de deux personnages réels qui sont Karageuz et Iwaz, tous deux bâtisseurs. Ces derniers étaient tués à la demande du sultan Oran, en raison de leur échec dans l’édification d’un château dont ils avaient reçu la commande. Pour éprouver ses remords, le sultan décidait plus tard de leur rendre hommage à travers le théâtre d’ombres Karageuz. Le sultan avait commencé à s’intéresser de plus en plus à ce genre de spectacles, qui avait alors connu un succès considérable. C’est ainsi que ce théâtre était diffusé tout au long de la coté méditerranéenne, de la Grèce en Europe jusqu’en Algérie en Afrique, en passent par le Liban en Proche-Orient. Il a même dépassé les frontières de l’Empire Ottoman jusqu’en Iran en Asie de l’ouest. Dans ce théâtre, les acteurs, dont le visage et le corps étaient voilé et caché par un costume, respectivement, n’apparaissaient pas sur la scène. Cachés derrière un rideau, ces acteurs manipulaient des marionnettes et leurs gestes se reflétaient à travers ce rideau grâce à une bougie placée à côté d’eux, créant ainsi des ombres [5]. Cette forme d’expression n’était pas seulement visuelle, les spectateurs pouvaient aussi entendre discourir les personnages. De plus, les marionnettistes prêtaient leurs voix à travers des dialogues. Ils émettaient également des bruits et des sons afin de rendre plus vivant leur spectacle. Finalement, le théâtre d’ombres turc Karageuz avait cessé d`es le démantèlement de l’Empire Ottoman.

Géographie

Pour le Liban, la diffusion géographique du théâtre d’ombres turc Karageuz n’était pas homogène dans toutes ses villes. En effet, comme mentionné précédemment, le Liban est un pays multiculturel comportant des communautés religieuses différentes. Ainsi, dans les villes côtières comme Tripoli, Beyrouth et Sidon, où la culture des habitants est purement musulmane sunnite (c’est à dire la même que celle des Ottomans), le théâtre d’ombres turc Karageuz y était très bien accueilli. Par contre, dans d’autres villes côtières comme Tyr et Naqoura, où la culture des habitants est purement musulmane chiite, le théâtre d’ombres turc Karageuz n’existait pas. De plus, la connaissance populaire de ce théâtre n’était pas identique dans toutes les villes qui l’accueillaient.
En effet, dans la plupart des villes, les spectacles étaient souvent joués dans des restaurants, où les gens de différents âges, surtout les commerçants et les marins, se rassemblaient pour écouter des histoires, des contes et des légendes. Néanmoins, dans quelques villes comme Sidon, le théâtre d’ombres turc Karageuz était très connu et considéré comme un véritable art de divertissement, et ses réalisateurs ´étaient de bonne réputation. En conclusion, la religion représentait un facteur majeur dans la diffusion géographique au Liban du théâtre d’ombres turc Karageuz.

Spectacles

Comme pour la géographie, les spectacles du théâtre d’ombres turc Karageuz étaient très variés entre les différentes villes du Liban. Plusieurs histoires, dans lesquelles les deux personnages Karageuz et Iwaz étaient exclusivement présentés, étaient créées et mises en scènes. Les sujets des spectacles étaient essentiellement des critiques à l’encontre des dirigeants politiques (hormis le sultan) et sociaux. Pour les spectacles à Sidon, Abou Izzat Al Karageuzati venant la Syrie présentait plusieurs spectacles jusqu’`a l’indépendance du Liban en 1943. Il se produisait dans un restaurant, et les gens lui donnaient de l’argent à la fin de son spectacle selon leur volonté. Tous les soirs, il ouvrait sa tente dans un coin du restaurant, allumait sa lampe à l’huile et sifflait pour annoncer le d´début du spectacle. Les gens savaient qu’il ´était professionnel par la façon de manipuler les personnages avec ses mains. Il mettait deux marionnettes sous son bras, prêtes `a l’emploi, s’il y avait plusieurs personnages. Les habitants de Sidon se souviennent toujours qu’il faisait des publicités, à la manière du Karageuz. Les enfants étaient très influencés par cet homme, l’imitaient et créaient des marionnettes et des petites scènes pour amuser leur entourage. Abdel Raouf Al Ansari (1896-1942), pâtissier de Sidon, avait appris le Karageuz simplement en assistant aux spectacles d’Abou Izzat Al Karageuzati. Il avait effectivement commencé par l’aider, puis par le remplacer lorsqu’il était absent. Mohammed Al Samara, pâtissier et musicien (joueur de flûte orientale) de Sidon, avait appris le Karageuz comme Abdel Raouf al Ansari, après avoir assisté aux spectacles d’Abou Izzat Al Karageuzati. Pour les spectacles à Beyrouth, Rachid Bin Mahmoud était l’un des artistes à avoir travaillé dans le théâtre d’ombres turc Karageuz, qu’il avait appris en regardant ses spectacles.

Public

Comme les spectacles du théâtre turc Karageuz avaient souvent lieu dans des restaurants, le but du public était donc, à part regarder ces spectacles, de profiter des repas. C’est ainsi que ce théâtre était plus apprécié et recommandé par les différentes catégories de la société libanaise. En d´début d’apparition de ce théâtre, celui-ci était destiné à un public plutôt adulte vu que son but principal était de rendre hommage aux deux bâtisseurs Karageuz et Iwaz, comme ´évoqué précédemment.
Les poètes étaient parmi les plus intéressés à ce théâtre. Omar Zeeni comparait dans un de ses poèmes le théâtre d’ombres turc Karageuz au d´début du xxe siècle au cinéma où, selon lui, les sujets étaient banals. Les chercheurs ont également ´été attirés par ce théâtre. Pietro Perolari-Malmignati avait décrit le théâtre d’ombres turc Karageuz qu’il avait regardé `à Beyrouth en 1875. Enno Littman avait publié un ouvrage sur le théâtre d’ombres arabe contenant des pièces libanaises et syriennes (publiées en lettres latines avec leur traduction en langue allemande) qu’il avait regardées à Beyrouth en 1900. Ces actes sont Al chahadoun (Le mendiant), Al Ifranji (Le Français), Al Afyouni (Le fumeur d’Afiyoun), Al Hammam (Le Hamman), Al Sahrah (La Soirée) et Al Khachabat (Les Bois). Des particuliers, notamment ceux qui ne connaissaient pas du tout ce type de théâtre, avaient commencé à créer leurs propres pièces. Enfin, les enfants avaient eux aussi commencé à imiter le Karageuz en inventant des petites scènes. Cela montre bien que le public du Karageuz était assez varié. Cependant, le succès du Karageuz d´dépendait uniquement de l’animateur. Pour certains animateurs, les salles du restaurant étaient remplies, alors que d’autres animateurs n’attiraient pas beaucoup de public lors de leurs spectacles. La plupart des animateurs profitaient de cet ´état de réception pour faire aussi de la publicité pour certains produits de commerce. Cela montre qu’`a cette époque, le Karageuz était très populaire et les commerçants l’utilisaient pour leurs profits commerciaux.

Conclusions

Ce travail porte sur le public du théâtre d’ombres turc Karageuz au Liban de 1850 à 1918. Ce théâtre était initié par les Ottomans durant leur colonisation du Liban. La diffusion géographique de ce théâtre n’´était pas homogène dans toutes les villes libanaises, en raison de la diversité religieuse et culturelle de leurs habitants. Les spectacles de ce théâtre, portant sur une variété de sujets, avaient lieu en majorité dans les grandes villes côtières. Son public était en général une confession musulmane sunnite, mais comportant une diversité de catégories sociales (poètes, chercheurs, commerçants, marins, particuliers et enfants). Les particuliers étaient tellement inspirés par ces spectacles qu’ils avaient créés eux-mêmes des histoires et les mettaient en scènes. Finalement, Le théâtre d’ombres turc Karageuz avait cessé dès le démantèlement de l’Empire Ottoman. Cependant, on en trouve aujourd’hui quelques traces dans le théâtre des marionnettes libanais.